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  1. Chant 23
  2. Achille fait des funérailles grandioses à Patrocle. Jeux funéraires.
  3.  
  4. Chant 23 :
  5.  
  6. Tandis qu'ils gémissaient ainsi par la Ville, les Achéens arrivèrent aux nefs et à l’Hellespont. Ils se dispersèrent, et chacun rentra dans sa nef. Mais Achille ne permit point aux Myrmidons de se séparer, et il dit à ses braves compagnons :
  7. - Myrmidons aux chevaux rapides, mes chers compagnons, ne détachons point des chars nos chevaux aux sabots massifs ; mais, avec nos chevaux et nos chars, pleurons Patrocle, car tel est l'honneur dû aux morts. Après nous être rassasiés de deuil, nous délierons nos chevaux, et, tous, nous prendrons notre repas ici.
  8. Il parla ainsi, et ils se lamentaient, et Achille le premier. En gémissant, ils poussèrent trois fois les chevaux aux belles crinières autour du cadavre ; et Thétis augmentait leur désir de pleurer. Dans le regret du héros Patrocle, les larmes baignaient les armes et arrosaient le sable. Au milieu d'eux, le Péléide commença le deuil lamentable, en posant ses mains tueuses d'homme sur la poitrine de son ami :
  9. - Sois content de moi, ô Patrocle, dans les demeures d'Hadès. Tout ce que je t'ai promis, je l'accomplirai. Hector, jeté aux chiens, sera déchiré par eux ; et, pour te venger, je tuerai devant ton bûcher douze nobles fils des Troyens.
  10. Il parla ainsi, et il outragea indignement le divin Hector en le couchant dans la poussière devant le lit du Ménœtiade. Puis, les Myrmidons quittèrent leurs splendides armes d'airain, dételèrent leurs chevaux hennissants et s'assirent en foule autour de la nef du rapide Eacide, qui leur offrit le repas funèbre. Beaucoup de bœufs blancs mugissaient sous le fer, tandis qu'on les égorgeait ainsi qu'un grand nombre de brebis et de chèvres bêlantes. Beaucoup de porcs gras cuisaient devant la flamme du feu. Le sang coulait abondamment autour du cadavre. Les princes achéens conduisirent le prince Péléide aux pieds rapides vers le divin Agamemnon, mais non sans peine, car le regret de son compagnon emplissait son cœur.
Aphrodite verse de l'ambroisie sur le corps d'Hector, afin de le protéger des corruptions.

Aphrodite verse de l'ambroisie sur le corps d'Hector, afin de le protéger des corruptions.

Apollon protège le corps d'Hector des rayons du soleil.

Apollon protège le corps d'Hector des rayons du soleil.

Le cadavre d'Hector reposant aux pieds de celui de Patrocle.

Le cadavre d'Hector reposant aux pieds de celui de Patrocle.

  1. Quand ils furent arrivés à la tente d'Agamemnon, celui-ci ordonna aux hérauts de poser un grand trépied sur le feu, afin que le Péléide, s'il y consentait, lavât le sang qui le souillait. Mais il s'y refusa toujours et jura un grand serment :
  2. - Non ! par Zeus, le plus haut et le meilleur des Dieux, je ne purifierai point ma tête que je n'aie mis Patrocle sur le bûcher, élevé son tombeau et coupé ma chevelure. Jamais, tant que je vivrai, une telle douleur ne m'accablera plus. Mais achevons ce repas odieux. Roi des hommes, Agamemnon, commande qu'on apporte, dès le matin, le bois du bûcher, et qu'on l'apprête, car il est juste d'honorer ainsi Patrocle, qui subit les noires ténèbres. Le feu infatigable le consumera rapidement à tous les yeux, et les peuples retourneront aux travaux de la guerre.
  3. Il parla ainsi, et les princes, l'ayant entendu, lui obéirent. Tous, préparant le repas, mangèrent ; et aucun ne se plaignit d'une part inégale. Puis, ils se retirèrent sous les tentes pour y dormir.
  4. Mais le Péléide était couché, gémissant, sur le rivage de la mer aux bruits sans nombre, au milieu des Myrmidons, en un lieu où les flots blanchissaient le bord. Le doux sommeil, lui versant l'oubli de ses peines, l'enveloppa, car il avait fatigué ses beaux membres en poursuivant Hector autour de la haute Ilion. Et l'âme du malheureux Patrocle lui apparut, avec la grande taille, les beaux yeux, la voix et jusqu'aux vêtements du héros. Elle s'arrêta sur la tête d'Achille et lui dit :
  5. - Tu dors, et tu m'oublies, Achille. Vivant, tu ne me négligeais point, et, mort, tu m'oublies. Ensevelis-moi, afin que je passe rapidement les portes d'Hadès. Les âmes, ombres des morts, me chassent et ne me laissent pas me mêler à elles au-delà du fleuve ; et je vais, errant en vain autour des larges portes de la demeure d'Hadès. Donne-moi la main ; je t'en supplie en pleurant, car je ne reviendrai plus du Hadès, quand vous m'aurez livré au bûcher. Jamais plus, vivants tous deux, nous ne nous confierons l'un à l'autre, assis loin de nos compagnons, car la Destinée odieuse qui m'était échue dès ma naissance m'a enfin saisi. Ta Destinée fatale, ô Achille égal aux Dieux, est aussi de mourir sous les murs des Troyens magnanimes ! Mais je te demande ceci, et puisses-tu me l'accorder : Achille, que mes ossements ne soient pas séparés des tiens, mais qu'ils soient unis comme nous l'avons été dans tes demeures.
  1. Quand Ménœtios m'y conduisit tout enfant, d'Oponte, parce que j'avais tué déplorablement, dans ma colère, le fils d'Amphidamas, en jouant aux dés, le cavalier Pélée me reçut dans ses demeures, m'y éleva avec tendresse et me nomma ton compagnon. Qu'une seule urne reçoive donc nos cendres, cette urne d'or que t'a donnée ta mère vénérable.
  2. Achille aux pieds légers lui répondit :
  3. - Pourquoi es-tu venu, ô tête chère ! et pourquoi me commander ces desseins ? Je t'obéirai, et les accomplirai scrupuleusement. Mais reste, que je t'embrasse un moment, au moins ! Adoucissons notre amère douleur.
  4. Il parla ainsi, et étendit ses mains affectueuses ; mais il ne saisit rien, l'âme rentra en terre comme une fumée, avec un âpre murmure. Achille se réveilla stupéfait et, frappant ses mains, il dit ces paroles lugubres :
  5. - Ô Dieux ! l'âme existe encore dans l’Hadès, mais comme une vaine image, et sans corps. L'âme du malheureux Patrocle m'est apparue cette nuit, pleurant et se lamentant, et semblable à lui-même ; et elle m'a ordonné d'accomplir ses voeux.
  6. Il parla ainsi, et il inspira la douleur de tous les Myrmidons ; et Éôs aux doigts de rose les trouva gémissant autour du cadavre.
  7. Mais le roi Agamemnon pressa les hommes et les mulets de sortir des tentes et d'amener le bois. Un brave guerrier les commandait, Mérion, compagnon du vaillant Idoménée.
  8. Ils allaient, avec les haches qui tranchent le bois, les cordes bien tressées, et les mulets marchaient devant eux. Franchissant les pentes, les rudes montées et les précipices, ils arrivèrent aux sommets de l'Ida où abondent les sources. Aussitôt, de leurs haches pesantes, ils abattirent les chênes feuillus qui tombaient à grand bruit. Les Achéens y attelaient les mulets qui dévoraient la terre de leurs pieds, se hâtant d'emporter vers le camp leur charge à travers les broussailles épaisses. Les Achéens traînaient aussi les troncs feuillus, ainsi que le commandait Mérion, le compagnon d'Idoménée, qui aime les braves. Ils déposèrent le bois sur le rivage, là où Achille avait marqué le grand tombeau de Patrocle et le sien.
  9. Puis, ayant amassé un immense monceau, ils s'assirent, attendant. Achille ordonna aux braves Myrmidons de se couvrir de leurs armes et de monter sur leurs chars. Ils se hâtaient de s'armer et de monter sur leurs chars, guerriers et conducteurs. Derrière les cavaliers, s'avançaient des nuées d'hommes à pied ; et, au milieu d'eux, Patrocle était porté par ses compagnons, qui couvraient son cadavre de leurs cheveux qu'ils arrachaient. Triste, le divin Achille soutenait la tête de son irréprochable compagnon qu'il allait envoyer dans l’Hadès.
  10. Quand ils furent arrivés au lieu marqué par Achille, ils déposèrent le corps et bâtirent le bûcher. Le divin Achille aux pieds rapides eut une autre pensée. Il coupa, à l'écart, sa chevelure blonde qu'il avait laissée croître pour le fleuve Sperchios ; et, gémissant, il dit, les yeux sur la mer sombre :
  11. - Sperchios ! c'est en vain que mon père Pélée te promit qu'à mon retour dans la chère terre de la patrie je couperais ma chevelure, et que je te sacrifierais de saintes hécatombes et cinquante béliers, à ta source, là où sont ton temple et ton autel parfumé. Le vieillard te fit ce vœu ; mais tu n'as point exaucé son désir, car je ne reverrai plus la chère terre de ma patrie. C'est au héros Patrocle que j'offre ma chevelure pour qu'il l'emporte avec lui dans les flammes.
  1. Ayant parlé ainsi, il déposa sa chevelure entre les mains de son cher compagnon, augmentant ainsi la douleur de tous, et la lumière d’Hélios serait tombée tandis qu'ils pleuraient encore, si Achille, s'approchant d'Agamemnon, ne lui eût dit :
  2. - Atride, à qui tout le peuple achéen obéit, plus tard il pourra se rassasier de larmes. Commande-lui de s'éloigner du bûcher et de préparer son repas. Nous, les chefs, qui avons un plus grand souci de Patrocle, restons seuls.
  3. Le Roi des hommes, Agamemnon, l'ayant entendu, renvoya aussitôt le peuple vers les nefs égales ; et les officiels, restant seuls, amassèrent le bois. Ils firent le bûcher de cent pieds sur toutes ses faces, et, sur son faîte, ils déposèrent, pleins de tristesse, le cadavre de Patrocle. Puis, ils égorgèrent et écorchèrent devant le bûcher une foule de brebis grasses et de bœufs aux pieds flexibles. Le magnanime Achille, couvrant tout le cadavre de leur graisse, de la tête aux pieds, entassa tout autour leurs chairs écorchées. Et, s'inclinant sur le lit funèbre, il y plaça des amphores de miel et d'huile. Puis, il jeta sur le bûcher quatre chevaux à la fière encolure. Neuf chiens familiers mangeaient autour de sa table. Il en tua deux qu'il jeta dans le bûcher. Puis, accomplissant un dessein affreux, il égorgea douze nobles enfants des Troyens magnanimes. Puis, il mit le feu au bûcher, afin qu'il fût consumé, et il gémit, appelant son cher compagnon :
  4. - Sois content de moi, ô Patrocle ! dans l’Hadès, car j'ai accompli tout ce que je t'ai promis. Le feu consume avec toi douze nobles enfants des magnanimes Troyens. Quand au fils de Priam Hector, je ne le livrerai point au feu, mais aux chiens.
  5. Il parla ainsi dans sa colère ; mais les chiens ne devaient point déchirer Hector, car, jour et nuit, la fille de Zeus, Aphrodite, les chassait au loin, oignant le corps d'une huile ambroisienne, afin que le Péléide ne le déchirât point en le traînant. Et Phœbos  Apollon enveloppait d'une nuée Ouranienne le lieu où était couché le cadavre, de peur que les rayons d’Hélios n'en desséchassent les nerfs et les chairs.
Apollon veille sur le corps d'Hector.

Apollon veille sur le corps d'Hector.

Le fantôme de Patrocle apparaît à Achille.

Le fantôme de Patrocle apparaît à Achille.

Les funérailles de Patrocle.

Les funérailles de Patrocle.

  1. Mais le bûcher de Patrocle ne brûlait point. Alors le divin Achille aux pieds rapides pria à l'écart les deux Vents Borée et Zéphyre, leur promettant de riches sacrifices. Faisant des libations avec une coupe d'or, il les supplia de venir, afin de consumer rapidement le cadavre, en enflammant le bûcher. La véloce Iris entendit ses prières et s'envola en messagère auprès des Vents. Rassemblés en foule dans la demeure du doux Zéphyre, ils célébraient un festin. La rapide Iris survint et s'arrêta sur le seuil de pierre. Et, dès qu'ils l'eurent vue de leurs yeux, tous se levèrent, et chacun l'appela près de lui. Mais elle ne voulut point s'asseoir et leur dit :
  2. - Ce n'est pas le temps de m'asseoir. Je retourne aux bouches de l'Okéanos, dans la terre des Ethiopiens, là où ils sacrifient des hécatombes aux Immortels, et j'en ai ma part. Mais Achille appelle Borée et le doux Zéphyre. Il les supplie de venir, leur promettant de riches sacrifices s'ils atisent le feu du bûcher sur lequel gît Patrocle que pleurent tous les Achéens.
  3. Elle parla ainsi et s'envola. Les deux Vents se ruèrent dans un bruit de tempête, chassant devant eux les nuées tumultueuses. Ils traversèrent la mer, et l'eau se souleva sous leur souffle violent ; ils arrivèrent devant la puissante Troie et se jetèrent sur le feu ; et toute la nuit, soufflant horriblement, ils attisèrent les flammes du bûcher ; et, toute la nuit, le véloce Achille, puisant le vin à pleine coupe d'un cratère d'or, et le répandant, arrosa la terre, en invoquant l'âme du malheureux Patrocle. Comme un père qui se lamente, en brûlant les ossements de son jeune fils dont la mort accable ses malheureux parents de tristesse ; de même Achille gémissait en brûlant les ossements de son compagnon, se roulant devant le bûcher, et se lamentant.
  1. Quand l'étoile du matin reparut, messagère de lumière ; et, après elle, quand Éôs au voile de safran se répandit sur la mer, alors le bûcher s'apaisa, la flamme s'éteignit, et les Vents partirent, s'en retournant dans leur demeure, à travers la mer de Thrace, dont les flots soulevés grondaient. Le Péléide, quittant le bûcher, se coucha accablé de fatigue, et le doux sommeil le saisit. Mais bientôt le bruit et le tumulte de ceux qui se rassemblaient autour de l'Atrion le réveillèrent. Et il se leva, et leur dit :
  2. - Atrides, et vous, princes des Achéens, éteignez avec du vin noir toutes les parties du bûcher que le feu a brûlées, et nous recueillerons les os de Patrocle Ménœtiade. Ils sont faciles à reconnaître, car le cadavre était au milieu du bûcher, et, loin de lui tout autour, brûlaient confusément les chevaux et les hommes. Déposons dans une urne d'or ces os recouverts d'une double graisse, jusqu'à ce que je descende moi-même dans l’Hadès. Je ne demande point maintenant un grand sépulcre. Que celui-ci soit simple. Mais vous, Achéens, qui survivrez sur vos nefs bien construites, vous nous élèverez, après ma mort, un vaste et grand tombeau.
  3. Il parla ainsi, et ils obéirent à l’agile Péléide. Ils éteignirent d'abord avec du vin noir toutes les parties du bûcher que le feu avait brûlées ; et la cendre épaisse tomba. Puis, en pleurant, ils déposèrent dans une urne d'or, couverts d'une double graisse, les os blancs de leur compagnon plein de douceur, et ils mirent, sous la tente du Péléide, cette urne enveloppée d'un voile léger. Puis, marquant la place du tombeau, ils en creusèrent les fondements autour du bûcher, ils mirent la terre en monceau, et ils partirent, ayant élevé le tombeau.
  4. Mais Achille retint le peuple en ce lieu, le fit asseoir en un cercle immense, et il fit apporter des nefs les prix : des vases, des trépieds, des chevaux, des mulets, des bœufs aux fortes têtes, des femmes aux belles ceintures, et du fer brillant.
Les funérailles de Patrocle.

Les funérailles de Patrocle.

Les funérailles de Patrocle.

Les funérailles de Patrocle.

Les funérailles de Patrocle.

Les funérailles de Patrocle.

  1. - Atrides, et vous, braves Achéens, voici, dans l'enceinte, les prix offerts aux cavaliers. Si les Achéens luttaient aujourd'hui pour un autre mort, certes, j'emporterais ces prix dans mes tentes, car vous savez que mes chevaux l'emportent sur tous, étant immortels. Poséidon les donna à mon père Pélée qui me les a donnés. Mais ni moi, ni mes chevaux aux sabots massifs nous ne combattrons. Ils ont perdu l'irréprochable vigueur de leur doux conducteur qui baignait leurs crinières d'huile liquide, après les avoir lavées dans une eau pure ; et maintenant ils pleurent, les crinières pendantes, et ils restent immobiles et pleins de tristesse. Mais vous qui, parmi tous les Achéens, avez confiance en vos chevaux et en vos chars solides, descendez dans l'enceinte.
  2. Le Péléide parla ainsi, et de rapides cavaliers se levèrent. Le premier, se leva le roi des hommes, Eumèlos, le fils bien-aimé d'Admète, très-habile à mener un char. Et après lui, se leva le brave Diomède Tydéide, conduisant sous le joug les chevaux de Trôs qu'il avait enlevés autrefois à Enée, quand celui-ci fut sauvé par Apollon. Après Diomède, se leva le blond Ménélas Atride, aimé de Zeus. Il conduisait sous le joug deux chevaux rapides : Aïthé, jument d'Agamemnon, et Podargos, qui lui appartenait. Echépolos avait donné Aïthé à Agamemnon, afin de ne point le suivre vers la haute Ilion. Il était resté, vivant dans les délices, car Zeus lui avait donné de grandes richesses, et il habitait la grande Sicyone. Ménélas la conduisait sous le joug, pleine d'ardeur. Après l'Atride, se leva, conduisant deux beaux étalons, Antiloque, l'illustre fils du magnanime roi Nestor Néléide. Les chevaux rapides qui traînaient son char étaient pyliens. Le père, debout auprès de son fils, donnait des conseils excellents au jeune homme déjà plein de prudence :
  3. - Antiloque, certes, Zeus et Poséidon, t'ayant aimé tout jeune, t'ont enseigné à mener un char ; c'est pourquoi on ne peut t'instruire davantage. Tu sais tourner habilement à la borne, mais tes chevaux sont lourds, et je crains un malheur. Les autres ne te sont pas supérieurs en science, mais leurs chevaux sont plus rapides. Allons, ami, réfléchis à tout, afin que les prix ne t'échappent pas. Le bûcheron vaut mieux par l'adresse que par la force. C'est par son art que le pilote dirige sur la mer une nef rapide, battue par les vents ; et le conducteur de chars l'emporte par son habileté sur le conducteur de chars. Celui qui s'abandonne à ses chevaux et à son char vagabonde follement çà et là, et ses chevaux s'emportent dans le stade, il ne peut les retenir. Mais celui qui sait les choses utiles, quand il conduit des chevaux lourds, regardant toujours la borne, l'effleure en la tournant. Il ne lâche point tout d'abord les rênes en cuir de bœuf, mais, les tenant d'une main ferme, il observe celui qui le précède. Je vais te montrer la borne. On la reconnaît aisément. Là s'élève un tronc desséché, d'une aune environ hors de terre et que la pluie ne peut nourrir. C'est le tronc d'un chêne ou d'un pin. Devant lui sont deux pierres blanches, posées de l'un et l'autre côté, au détour du chemin, et, en deçà comme au-delà, s'étend l'hippodrome aplani. C'est le tombeau d'un homme mort autrefois, ou une limite plantée par les anciens hommes, et c'est la borne que le divin Achille aux pieds rapides vous a marquée. Quand tu en approcheras, pousse tout auprès tes chevaux et ton char. Penche-toi, de ton char bien construit, un peu sur la gauche, et excite le cheval de droite de la voix et du fouet, en lui lâchant toutes les rênes. Que ton cheval de gauche rase la borne, de façon que le moyeu de la roue la touche presque ; mais évite de heurter la pierre, de peur de blesser tes chevaux et de briser ton char, ce qui ferait la joie des autres, mais ta propre honte. Enfin, ami, sois adroit et prudent. Si tu peux dépasser la borne le premier, il n'en est aucun qui ne te poursuive vivement, mais nul ne te devancera, quand même on pousserait derrière toi le divin Aréïôn, ce rapide cheval d'Adraste, qui était de race divine, ou même les illustres chevaux de Laomédon, qui furent nourris ici.
  4. Le Néléide Nestor, Ayant parlé ainsi et enseigné toute chose à son fils, se rassit. Le cinquième, Mérion conduisait deux chevaux aux beaux crins.
  1. Puis, ils montèrent tous sur leurs chars, et ils jetèrent les sorts ; Achille les remua, et Antiloque Nestoride vint le premier, puis le roi Eumèlos, puis l'Atride Ménélas illustre par sa lance, puis Mérion, et le dernier fut le Tydéide, le plus vaillant de tous. Ils se placèrent dans cet ordre, et Achille leur signala la borne, au loin dans la plaine ; et il envoya comme inspecteur le divin Phœnix, compagnon de son père, afin qu'il surveillât la course avec vigilance.
  2. Tous ensemble, levant le fouet sur les chevaux et les excitant du fouet et de la voix, s'élancèrent dans la plaine, loin des nefs. La poussière montait autour de leurs poitrines, comme un nuage ou comme une tempête ; les crinières flottaient au vent ; les chars tantôt semblaient s'enfoncer en terre, tantôt bondissaient au-dessus. Mais les conducteurs se tenaient fermes sur leurs sièges, et leur cœur palpitait du désir de la victoire, chacun exhortait ses chevaux qui volaient, soulevant la poussière de la plaine.
  3. Mais quand les chevaux rapides, ayant atteint la limite de la course, revinrent vers la mer écumeuse, l'ardeur des combattants et la vitesse de la course devinrent visibles. Les rapides juments d’Eumèlos parurent les premières ; et les chevaux troyens de Diomède les suivaient de si près, qu'ils semblaient monter sur le char. Le dos et les larges épaules d'Eumèlos étaient chauffés de leur souffle, car ils posaient sur lui leurs têtes. Certes, Diomède eût vaincu ou rendu la lutte égale, si Phœbos Apollon, irrité contre le fils de Tydée, n'eût fait tomber de ses mains le fouet splendide. Des larmes de colère jaillirent de ses yeux, quand il vit les juments d'Eumèlos le distancer plus rapides, et ses propres chevaux ralentir, n'étant plus aiguillonnés.
  4. Mais Apollon, retardant le Tydéide, ne put se cacher d'Athéna. Courant au prince des peuples, elle lui rendit son fouet et remplit ses chevaux de vigueur. Puis, furieuse, et poursuivant le fils d'Admète, elle brisa le joug des juments, qui se dérobèrent. Le timon tomba rompu ; et Eumèlos aussi tomba auprès de la roue, se déchirant les bras, la bouche et les narines. Il resta muet, le front meurtri et les yeux pleins de larmes.
  5. Alors, Diomède, le devançant, poussa ses chevaux aux sabots massifs, bien au-delà de tous, car Athéna leur avait donné une grande vigueur et accordait la victoire au fils de Tydée. Derrière lui, le blond Ménélas Atride menait son char, puis Antiloque, qui exhortait les chevaux de son père :
  6. - Prenez courage, et courez plus rapidement. Certes, je ne vous ordonne point de lutter contre les chevaux du brave Tydéide, car Athéna donne la vitesse à leurs pieds et accorde la victoire à leur maître ; mais atteignez les chevaux de l'Atride, et ne faiblissez point, de peur que Aïthé, qui n'est qu'une jument, vous couvre de honte.
  7. Pourquoi tardez-vous, mes braves ? Mais je vous le dis, et, certes, ceci s'accomplira : Nestor, le prince des peuples, ne se souciera plus de vous ; il vous percera de l'airain aigu, si, par lâcheté, nous ne remportons qu'un prix sans valeur. Hâtez-vous et poursuivez hardiment l'Atride. Moi, je médite une ruse, et je le devancerai au détour du chemin, le trompant de la sorte.
  8. Il parla ainsi, et les chevaux, effrayés des menaces du prince, coururent plus rapidement. Le vaillant Antiloque vit que le chemin se rétrécissait. La terre était défoncée par l'amas des eaux de l'hiver, et une partie du chemin était rompue, formant un trou profond. C'était là que se dirigeait Ménélas pour éviter le choc des chars. Antiloque y poussa aussi ses chevaux aux sabots massifs, hors de la voie, sur le bord du terrain en pente. L’Atride fut saisi de crainte et cria à Antiloque :
  1. - Antiloque, tu mènes tes chevaux comme un fou. Le chemin est trop étroit, mais il sera bientôt plus large. Prends garde de nous briser tous deux en heurtant mon char.
  2. Il s’exprima ainsi, mais Antiloque, comme s'il ne l'avait point entendu, aiguillonna plus encore ses chevaux. Aussi rapides que le jet d'un disque que lance de l'épaule un jeune homme qui éprouve ses forces, les deux chars s'élancèrent de front. Mais l'Atride ralentit sa course et attendit, de peur que les chevaux aux sabots massifs, se heurtant dans le chemin, ne renversassent les chars, et qu'Antiloque et lui, en se hâtant pour la victoire, ne fussent précipités dans la poussière. Mais le blond Ménélas, irrité, lui dit :
  3. - Antiloque, aucun homme n'est plus perfide que toi ! Va ! c'est bien à tors que nous te disions sage. Mais tu ne remporteras pas le prix sans te parjurer.
  4. Ayant parlé ainsi, il exhorta ses chevaux et leur cria :
  5. - Ne me retardez pas davantage, et n'ayez pas le cœur triste à cause des chevaux d’Antiloque. Leurs pieds et leurs genoux seront plus tôt fatigués que les vôtres, car ils sont vieux tous deux.
  6. Il parla ainsi, et ses chevaux, effrayés par la voix du Roi, s'élancèrent, et rejoignirent aussitôt ceux d'Antiloque.
  7. Cependant les Argiens, assis dans le stade, regardaient les chars qui volaient dans la plaine, en soulevant la poussière. Idoménée, chef des Crétois, les vit le premier. Étant assis hors du stade, sur une hauteur, il entendit une voix qui exhortait les chevaux, et il vit celui qui accourait le premier, dont toute la robe était rouanne, et qui avait au front une tache de lune, ronde comme l'orbe de Séléné. Il se leva et dit aux Argiens :
  8. - Ô amis, princes et chefs des Argiens, voyez-vous ces chevaux comme moi ? Il me semble que ce sont d'autres chevaux et un autre conducteur qui tiennent maintenant la tête. Peut-être les premiers au départ ont-ils subi un malheur dans la plaine. Je les ai vus tourner la borne et je ne les vois plus, et cependant j'embrasse toute la plaine troyenne. Ou les rênes auront échappé au conducteur et il n'a pu tourner la borne heureusement, ou il est tombé, brisant son char, et ses juments furieuses se sont dérobées. Mais regardez vous-mêmes ; je ne vois point clairement encore ; cependant, il me semble que c'est un guerrier Etolien qui commande parmi les Argiens, le brave fils de Tydée dompteur de chevaux, Diomède.
  9. Le rapide Ajax, fils d'Oïlée, lui répondit amèrement :
  10. - Idoménée, pourquoi toujours bavarder ? Ce sont ces mêmes juments aux pieds aériens qui arrivent à travers la vaste plaine. Tu n'es certes pas le plus jeune d’entre les Argiens, et les yeux qui sortent de ta tête ne sont point les plus perçants. Mais tu bavardes à tort. Il ne te convient pas de tant parler, car beaucoup d'autres ici valent mieux que toi. Ce sont les juments d'Eumèlos qui arrivent les premières, et c'est lui qui tient toujours les rênes.
  11. Le chef des Crétois, irrité, lui répondit :
  12. - Ajax, excellent pour la querelle, homme injurieux, le dernier des Argiens, dont l’âme est toute féroce ! Allons ! gageons sur un trépied, ou un vase, et prenons tous deux pour arbitre l'Atride Agamemnon. Qu'il dise quels sont ces chevaux, et tu l’apprendras à tes dépens.
  13. Il parla ainsi, et le rapide Ajax, fils d'Oïlée, plein de colère, se leva pour lui répondre par d'outrageantes paroles, et il y aurait eu une querelle entre eux, si Achille, s'étant levé, n'eût parlé :
  1. - Ne vous adressez pas plus longtemps d'injurieuses paroles, Ajax et Idoménée. Cela ne vous convient pas, et vous blâmeriez qui en ferait autant. Restez assis, et regardez. Ces chevaux qui se hâtent pour la victoire vont arriver. Vous verrez alors quels sont les premiers et les seconds.
  2. Il parla ainsi, et le Tydéide Diomède arriva, agitant sans relâche le fouet sur ses chevaux, qui, en courant, soulevaient une haute poussière qui enveloppait leur conducteur. Le char, orné d'or et d'étain, était enlevé par les chevaux rapides ; et l'orbe des roues laissait à peine une trace dans la poussière, tant ils couraient agilement. Le char s'arrêta au milieu du stade ; et des flots de sueur coulaient de la tête et du poitrail des chevaux. Diomède sauta de son char brillant et appuya le fouet contre le joug. Sans tarder, le brave Sthénélos saisit le prix. Il remit la femme et le trépied à deux anses à ses magnanimes compagnons, et lui-même détela les chevaux.
  3. Après Diomède, le Néléide Antiloque arriva, poussant ses chevaux et devançant Ménélas par ruse et non par la rapidité de sa course. Ménélas le poursuivait de près. Autant est près de la roue un cheval qui traîne son maître, sur un char, dans la plaine, tandis que les derniers crins de sa queue touchent les jantes, et qu'il court à travers l'espace ; autant Ménélas suivait de près le brave Antiloque. Bien que resté en arrière à un jet de disque, il l'avait atteint aussitôt, car Aïthé aux beaux crins, la jument d'Agamemnon, avait redoublé d'ardeur ; et si la course des deux chars eût été plus longue, l'Atride eût sans doute devancé Antiloque. Mérion, le brave compagnon d'Idoménée, venait, à un jet de lance, derrière l'illustre Ménélas, ses chevaux étant très lourds, et lui-même étant peu habile à conduire un char dans le stade.
  4. Mais le fils d'Admète arrivait le dernier de tous, traînant son beau char et poussant ses cavales immortelles, don d’Apollon, devant lui. Le divin Achille aux pieds légers, le voyant, en eut compassion, et, debout au milieu des Argiens, il dit ces paroles ailées :
  5. - Ce guerrier excellent ramène le dernier ses belles juments, cadeau d’un dieu à son père. Donnons-lui donc le second prix, comme il est juste, et le fils de Tydée emportera le premier.
  6. Il parla ainsi, et tous y consentirent ; il allait donner à Eumélos la jument promise, si Antiloque, le fils du magnanime Nestor, se levant, n'eût répondu de bon droit au Péléide Achille :
  7. - Ô Achille, je m’irriterai violemment contre toi, si tu fais ce que tu as dit. Tu veux m'enlever mon prix, parce que, malgré son habileté, Eumèlos a vu son char se rompre. Il devait supplier les Immortels. Il ne serait point arrivé le dernier. Si tu as compassion de lui, et s'il t'est cher, il y a, sous ta tente, beaucoup d'or, de l'airain, des brebis, des captives et des chevaux aux sabots massifs. Donne-lui un plus grand prix que le mien, dès maintenant, et que les Achéens y applaudissent, soit ; mais je ne céderai pas mon prix. Que le guerrier qui voudrait me le disputer combatte d'abord contre moi.
  8. Il parla ainsi, et le divin Achille aux pieds vigoureux rit, approuvant Antiloque, parce qu'il l'aimait ; et il lui répondit ces paroles ailées :
  9. - Antiloque, si tu veux que je prenne dans ma tente un autre prix pour Eumèlos, je le ferai. Je lui donnerai la cuirasse que j'enlevai à Astéropée. Elle est d'or et entourée d'étain brillant. Elle est digne de lui.
  10. Il parla ainsi, et il ordonna à son cher compagnon Automédon de l'apporter de sa tente, et Automédon partit et l'apporta. Et Achille la remit aux mains d'Eumèlos, qui la reçut avec joie.
La course de chevaux attelés.

La course de chevaux attelés.

Ménélas porte réclamations contre Antiloque qu'il accuse de tricheries lors de la course des chevaux attelés.

Ménélas porte réclamations contre Antiloque qu'il accuse de tricheries lors de la course des chevaux attelés.

  1. Ménélas se leva au milieu de tous, triste et violemment irrité contre Antiloque. Un héraut lui mit le sceptre entre les mains et ordonna aux Argiens de faire silence, alors le divin guerrier parla ainsi :
  2. - Antiloque, toi qui étais plein de sagesse, pourquoi en as-tu manqué ? Tu as déshonoré ma gloire ; tu as jeté en travers des miens tes chevaux qui leur sont bien inférieurs. Vous, princes et chefs des Argiens, jugez équitablement entre nous. Que nul d'entre les Achéens aux tuniques d'airain ne puisse dire : Ménélas a opprimé Antiloque par des paroles mensongères et a ravi son prix, car ses chevaux ont été vaincus, mais lui l'a emporté par sa puissance. Mais je jugerai moi-même, et je ne pense pas qu'aucun des Danaens me blâme, car mon jugement sera droit. Antiloque, approche, enfant de Zeus, comme il est juste. Debout, devant ton char, prends en main ce fouet que tu agitais sur tes chevaux, et jure par Poséidon qui ébranle la terre que tu n'as point devancé ma course par ruse.
  3. Le sage Antiloque lui répondit :
  4. - Pardonne maintenant, car je suis beaucoup plus jeune que toi, Roi Ménélas, tu es plus âgé et plus puissant. Tu sais quels sont les défauts d'un jeune homme ; l'esprit est très vif et la réflexion très légère. Que ton cœur s'apaise. Je te donnerai moi-même cette jument indomptée que j'ai reçue ; et, si tu me demandais plus encore, j'aimerais mieux te le donner aussi, Ô fils de Zeus, que de sortir pour toujours de ton cœur et d'être exécré des Dieux.
  5. Le fils du magnanime Nestor parla ainsi et remit la jument entre les mains de Ménélas ; le cœur de celui-ci se remplit de joie, comme les épis sous la rosée, quand les campagnes s'emplissent de la moisson croissante. Ainsi, ton cœur fut joyeux, ô Ménélas ! Et il répondit en paroles ailées :
  1. - Antiloque, ma colère ne te résiste pas, car tu n'as jamais été ni léger, ni injurieux. La jeunesse seule a égaré ta prudence ; mais prends garde désormais de tromper tes supérieurs par des ruses. Un autre d'entre les Achéens ne m'eût point apaisé aussi vite ; mais toi, ton père excellent et ton frère, vous avez subi beaucoup de maux pour ma cause. Donc, je me rends à ta prière, et je te donne cette jument qui m'appartient, afin que tous les Achéens soient témoins que mon cœur n'a jamais été ni orgueilleux, ni sans bonté.
  2. Il parla ainsi, et il donna la jument à Nœmon, compagnon d'Antiloque. Lui-même, il prit le vase splendide, et Mérion reçut les deux talents d'or, prix de sa course. Le cinquième prix restait, 1'urne à deux anses. Achille, la portant à travers l'assemblée des Argiens, la donna à Nestor, et lui dit :
  3. - Reçois ce présent, vieillard, et qu'il te soit un souvenir des funérailles de Patrocle, que tu ne reverras plus parmi les Argiens. Je te donne ce prix que tu n'as point disputé ; car tu ne combats pas avec les cestes, tu ne lutteras pas, tu ne lanceras pas la pique et tu ne courras pas, puisque la lourde vieillesse t'accable.
  4. Ayant parlé ainsi, il lui mit 1'urne dans les mains, et Nestor la recevant avec joie, lui répondit ces paroles ailées :
  5. - Mon fils, certes, tu as bien parlé. Ami, je n'ai plus, en effet, mes membres vigoureux. Mes pieds sont lourds et mes bras ne sont plus agiles. Plût aux Dieux que je fusse jeune, et que ma force fût telle qu'à l'époque où les Épéens ensevelirent le roi Amarincée dans Bouprasiôn ! Ses fils déposèrent des prix, et aucun guerrier ne fut mon égal parmi les Épéens, les Pyliens et les magnanimes Etoliens. Je vainquis au pugilat Clydomède, fils d'Énops ; à la lutte, Agaïos le Pleuronien, qui se leva contre moi. Je courus plus vite que le brave Iphiclos ; je triomphai, au combat de la lance, de Phylée et de Polydor ; mais, à la course des chars, par leur nombre, les Actorides remportèrent la victoire, et ils m'enlevèrent ainsi les plus beaux prix. Car ils étaient deux : l'un tenait fermement les rênes, l'autre le fouet. Tel j'étais autrefois, et maintenant de plus jeunes accomplissent ces exploits, et il me faut obéir à la triste vieillesse ; mais, alors, j'excellais parmi les héros. Va ! continue par d'autres combats les funérailles de ton compagnon. J'accepte ce présent avec joie, et mon cœur se réjouit de ce que tu te sois souvenu de moi qui te suis bienveillant, et de ce que tu m'aies honoré, comme il est juste qu'on m'honore parmi les Argiens. Que les Dieux, en retour, te comblent de leurs grâces !
  6. Il parla ainsi, et le Péléide s'en retourna à travers la grande assemblée des Achéens, après avoir écouté jusqu'au bout la propre louange du Néléide.
  7. Il déposa les prix pour le rude combat des poings. Il amena dans l'enceinte, et lia de ses mains une mule laborieuse, de six ans, indomptée et presque indomptable ; et il déposa une coupe ronde pour le vaincu. Debout, il dit au milieu des Argiens :
  8. - Atrides, et vous Achéens aux belles cnémides, j'appelle, pour disputer ces prix, deux hommes vigoureux à se frapper de leurs poings levés. Que tous les Achéens le sachent, celui à qui Apollon donnera la victoire, conduira dans sa tente cette mule patiente, et le vaincu emportera cette coupe ronde.
  9. Il parla ainsi, et aussitôt un homme vigoureux et grand se leva, Épéios, fils de Panopée, habile au combat du poing. Il saisit la mule laborieuse et dit :
  1. - Qu'il vienne, celui qui veut emporter cette coupe, car je ne pense pas qu'aucun des Achéens puisse emmener cette mule, m'ayant vaincu par le poing ; car, en cela, je me glorifie de l'emporter sur tous. N'est-ce point assez que je sois inférieur dans le combat ? Aucun homme ne peut exceller en toutes choses. Mais, je le dis, et ma parole s'accomplira : je briserai le corps de mon adversaire et je romprai ses os. Que ses amis s'assemblent ici en grand nombre pour l'emporter, quand il sera tombé sous mes mains.
  2. Il parla ainsi, et tous restèrent muets. Seul Euryalos se leva, homme illustre, fils du roi Mécistée Talionide qui, autrefois, alla dans Thèbes aux sept portes, la grande cité d'Œdipe, et qui l'emporta sur tous les Cadméens. L'illustre fils de Tydée s'empressait autour d'Euryalos, l'animant de ses paroles, car il lui souhaitait la victoire. Il lui mit d'abord une ceinture, et il l'arma de courroies faites du cuir d'un bœuf sauvage.
  3. Puis, les deux combattants s'avancèrent au milieu de l'enceinte. Tous deux, levant à la fois leurs mains vigoureuses, se frappèrent à la fois, en mêlant leurs poings lourds. On entendait le bruit des mâchoires frappées ; et la sueur coulait chaude de tous leurs membres. Mais le divin Épéios, se ruant en avant, frappa de tous les côtés la face d'Euryalos, qui ne put résister plus longtemps, et dont les membres défaillirent. De même que le poisson qui est jeté, par le souffle furieux de Borée, dans les algues du bord, et que l'eau noire ressaisit ; de même Euryalos frappé bondit. Mais le magnanime Épéios le releva lui-même, et ses chers compagnons, l'entourant, l'emmenèrent à travers l'assemblée, traînant les pieds, vomissant un sang épais, la tête inclinée. Ils l'emmenaient ainsi, en le soutenant, et ils emportèrent aussi la coupe ronde.
  4. Le Péléide déposa les prix de la lutte difficile devant les Danaens : un grand trépied fait pour le feu, et destiné au vainqueur, et que les Achéens, entre eux, estimèrent du prix de douze bœufs ; pour le vaincu, une femme habile aux travaux et valant quatre bœufs. Le Péléide, debout, dit au milieu des Argiens :
  5. - Qu'ils se lèvent, ceux qui osent combattre pour ce prix.
  6. Il parla ainsi, et aussitôt le grand Télamonien Ajax se leva ; et le sage Ulysse, plein de ruses, se leva aussi. Tous deux, s'étant munis de ceintures, descendirent dans l'enceinte et se saisirent de leurs mains vigoureuses, tels que deux poutres qu'un habile charpentier unit au sommet d'une maison pour résister à la violence du vent. Ainsi leurs reins, sous leurs mains vigoureuses, craquèrent avec force, et leur sueur coula abondamment, d'épaisses tumeurs, rouges de sang, s'élevèrent sur leurs flancs et leurs épaules. Tous deux désiraient ardemment la victoire et le trépied qui en était le prix ; mais Ulysse ne pouvait ébranler Ajax, et Ajax ne pouvait renverser Ulysse. Déjà ils fatiguaient l'attente des Achéens aux belles cnémides ; le grand Télamonien Ajax dit alors à Ulysse :
  7. - Divin Laërtide, très sage Ulysse, enlève-moi, ou je t'enlèverai, et Zeus fera le reste.
  8. Il parla ainsi, et il l'enleva ; mais Ulysse n'oublia point ses ruses, et, le frappant du pied sur le jarret, il fit ployer ses membres ; le renversant, il tomba sur lui. Les Achéens étonnés les admiraient. Alors le divin et patient Ulysse voulut à son tour enlever Ajax ; mais il le souleva à peine, et ses genoux ployèrent, tous deux tombèrent côte à côte, et ils furent souillés de poussière. Comme ils se relevaient une troisième fois, Achille se leva lui-même et les retint :
  9. - Ne combattez pas plus longtemps et ne vous épuisez pas. La victoire est à tous deux. Allez donc, emportant des prix égaux, et laissez concourir les autres Achéens.
  1. Il parla ainsi ; l'ayant entendu, ils lui obéirent ; secouant leur poussière, ils se couvrirent de leurs vêtements.
  2. Alors le Péléide déposa les prix de la course : un très beau cratère d'argent contenant six mesures. Il surpassait par sa beauté tous ceux qui étaient sur la terre. Les habiles Sidoniens l'avaient admirablement façonné ; et des Phéniciens l'avaient amené, à travers la mer bleue ; arrivés au port, ils l'avaient donné à Thoas. Le fils de Jason, Eunée l'avait cédé au héros Patrocle pour l'affranchissement du Priamide Lycaon ; et Achille le proposa en prix aux plus habiles coureurs dans les jeux funèbres de son ami. Puis, il offrit un bœuf énorme et très-gras ; puis, enfin, un demi-talent d'or. Et, debout, il dit au milieu des Argiens :
  3. - Qu'ils se lèvent, ceux qui veulent combattre pour ce prix.
  4. Il parla ainsi, et, aussitôt, le rapide Ajax, fils d'Oïlée, se leva ; puis le sage Ulysse, puis Antiloque, fils de Nestor. Celui-ci dépassait tous les jeunes hommes à la course. Ils se placèrent de front, Achille leur montra le but, et ils se précipitèrent. Ajax les devançait tous ; puis, venait le divin Ulysse. Autant la navette qu'une belle femme manie habilement, approche de son sein, quand elle tire le fil à elle, autant Ulysse était proche d'Ajax, mettant ses pieds dans les pas de celui-ci, avant que la poussière ne se fût élevée. Ainsi le divin Ulysse chauffait de son souffle la tête d'Ajax. Tous les Achéens admiraient sa rage de vaincre et l’encourageaient de la voix. Comme ils approchaient du but, Ulysse pria en lui-même Athéna aux yeux clairs :
  5. - Exauce-moi, Déesse ! aide-moi dans ma course, allège mes pieds.
  6. Il parla ainsi ; et Pallas Athéna, l'exauçant, rendit ses membres plus agiles et ses pieds plus légers. Comme ils revenaient vers les tribunes, Athéna poussa Ajax qui tomba, en courant, là où s'était amassé les bouses des bœufs mugissants qu'Achille aux pieds rapides avait tués devant le corps de Patrocle ; sa bouche et ses narines furent emplies de fumier et de bouse des bœufs ; le divin et patient Ulysse, le devançant, saisit le cratère d'argent. L'illustre Ajax Oïlide prit le bœuf ; se tenant d'une main à l'une des cornes du bœuf sauvage, et rejetant le fumier de sa bouche, il dit au milieu des Argiens :
  7. - Malheur à moi ! Certes, la Déesse Athéna a entravé mes pieds, elle qui accompagne et secourt toujours Ulysse, comme si elle était sa mère.
  8. Il parla ainsi, tous, en l'entendant, se mirent à rire. Antiloque enleva le dernier prix, et il dit en riant aux Argiens :
  9. - Je vous le dis à tous, et vous le voyez, amis ; maintenant et toujours, les Immortels honorent les vieillards. Ajax est un peu plus âgé que moi ; mais Ulysse est de la génération des hommes anciens. Cependant, il a une verte vieillesse, et il est difficile à tous les Achéens, si ce n'est à Achille, de lutter avec lui à la course.
  10. Il parla ainsi, louant le Péléide aux pieds rapides. Et Achille lui répondit :
  11. - Antiloque, tu ne m'auras point loué en vain, et je te donnerai encore un autre demi-talent d'or.
  12. Ayant parlé ainsi, il le lui donna, et Antiloque le reçut avec joie. Puis, le Péléide déposa dans l'enceinte une longue lance, un bouclier et un casque ; c'étaient les armes que Patrocle avait enlevées à Sarpédon. Debout, Achille dit au milieu des Argiens :
  1. - Que deux guerriers, parmi les plus braves, et couverts de leurs armes d'airain, combattent devant la foule. À celui qui, atteignant le premier le corps de l'autre, aura fait couler le sang noir à travers les armes, je donnerai cette belle épée thrace, aux clous d'argent, que j'enlevai à Astéropée. Quant à ces armes, elles seront communes ; et je leur offrirai à tous deux un beau repas dans mes tentes.
  2. Il parla ainsi, et, aussitôt, le grand Télamonien Ajax se leva ; et, après lui, le vaillant Diomède Tydéide se leva aussi. Tous deux, à l'écart, s'étant armés, se présentèrent au milieu de tous, prêts à combattre et se regardant avec des yeux terribles. La terreur saisit tous les Achéens. Quand les héros se furent rencontrés, trois fois, se jetant l'un sur l'autre, ils s'attaquèrent ardemment. Ajax perça le bouclier de Diomède, mais il n'atteignit point le corps que protégeait la cuirasse. Le Tydéide dirigea la pointe de sa lance, au-dessus du grand bouclier, près du cou ; mais les Achéens, craignant pour Ajax, fîrent cesser le combat et leur donnèrent des prix égaux. Cependant le héros Achille donna au Tydéide la grande épée, avec la gaîne et le riche baudrier.
  3. Puis, le Péléide déposa un disque de fer brut que lançait autrefois la force immense d'EEtion. Le divin Achille aux pieds légers, ayant tué EEtion, avait emporté cette masse dans ses nefs, avec d'autres richesses. Debout, il dit au milieu des Argiens :
  4. - Qu'ils se lèvent, ceux qui veulent tenter ce tournoi. Celui qui possédera ce disque, s'il a des champs fertiles qui s'étendent au loin, ne manquera point de fer pendant cinq années entières. Ni ses bergers, ni ses laboureurs n'iront en acheter à la Ville, car ce disque lui en fournira.
  5. Il parla ainsi, et le belliqueux Polypœtès se leva ; et, après lui, la force du divin Léontée ; puis, Ajax Télamonide, puis le divin Épéios. Ils prirent place ; et le divin Épéios saisit le disque, le faisant tourner, le lança ; et tous les Achéens se moquèrent. Le second qui le lança fut Léontée, rejeton d'Arès. Le troisième fut le grand Télamonien Ajax qui, de sa main vigoureuse, le jeta bien au-delà des autres. Mais quand le belliqueux Polypœtès l'eut saisi, il le lança plus loin que tous, de l'espace entier que franchit le bâton recourbé d'un bouvier, que celui-ci fait voler à travers les vaches vagabondes. Les Achéens poussèrent des acclamations, et les compagnons du brave Polypœtès emportèrent dans les nefs creuses le prix de leur roi.
  6. Puis, le Péléide déposa, pour les archers habiles, dix grandes haches à deux tranchants et dix petites haches, toutes en fer. Il fit dresser dans l'enceinte le mât noir d'une nef rostrale ; et, au sommet du mât, il fit lier par un lien léger une colombe tremblante, cible des flèches :
  7. - Celui qui atteindra la colombe emportera les haches à deux tranchants dans sa tente ; et celui qui, moins adroit, et manquant l'oiseau, aura coupé le lien, emportera les petites haches.
  8. Il parla ainsi, et le prince Teucros se leva aussitôt ; après lui, Mérion, brave compagnon d'Idoménée, se leva aussi. Les sorts ayant été remués dans un casque d'airain, celui de Teucros parut le premier. Aussitôt, il lança une flèche avec vigueur, oubliant de vouer à l'Archer Apollon une illustre hécatombe d'agneaux premiers-nés. Il manqua l'oiseau car Apollon lui enleva cette gloire ; mais il atteignit, auprès du pied, le lien qui retenait l'oiseau ; la flèche amère trancha le lien, et la colombe s'envola dans le Ciel, tandis que le lien retombait. Les Achéens poussèrent des acclamations.
  9. Mais, aussitôt, Mérion, saisissant l'arc de la main de Teucros, car il tenait la flèche prête, voua à l'Archer Apollon une illustre hécatombe d'agneaux premiers-nés, et, tandis que la colombe montait en tournoyant vers les hautes nuées, il l'atteignit sous l'aile.
  10. Le trait la traversa et revint s'enfoncer en terre aux pieds de Mérion ; l'oiseau tomba le long du mât noir de la nef rostrale, le cou pendant, les plumes éparses, et son âme s'envola de son corps. Tous furent saisis d'admiration. Mérion prit les dix haches à deux tranchants, et Teucros emporta les petites haches dans sa tente.
Mérion gagne le concours de l'arc.

Mérion gagne le concours de l'arc.

Achille honore Nestor pour ses exploits passés.

Achille honore Nestor pour ses exploits passés.

  1. Puis, le Péléide déposa une longue lance et un vase neuf et orné, du prix d'un bœuf ; ceux qui devaient lancer la pique se levèrent. L'Atride Agamemnon qui commande au loin se leva ; et Mérion, brave compagnon d'Idoménée, se leva aussi. Mais le divin et rapide Achille leur dit :
  2. - Atride, nous savons combien tu l'emportes sur tous par ta force et ton habileté à la lance. Emporte donc ce prix dans tes nefs creuses. Mais, si tu le veux, et tel est mon désir, donne cette lance au héros Mérion.
  3. Il parla ainsi, et le roi des hommes Agamemnon y consentit. Achille donna la lance d'airain à Mérion, et le roi Atride remit le vase magnifique au héraut Talthybios.
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